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Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales (EHESS)
Centre de Recherches sur les Arts et le Langage (CRAL)
Formation doctorale "Musique, histoire, societe"
Journee d'etudes - Samedi 28 mai 2005
"Analyse musicale et histoire culturelle"
problematiques, perspectives et confrontations
Samedi 28 mai 2005
Salle 1, 105 Bd Raspail, 75006 Paris
Argument:
La part de l'histoire culturelle est de porter un regard sur le passe,
celle de l'analyse musicale est de reveler les caracteristiques formelles
et structurelles d'une oeuvre. L'objet musical peut constituer un lieu de
rencontre entre ces deux approches. En effet, les observations et
interpretations proposees par l'analyse musicale dependent de la dimension
sociale et culturelle. Ainsi l'analyse musicale n'a cesse de se
positionner par rapport au contexte de sa production et de son objet. Par
consequent, de la confrontation analyse / histoire culturelle resulte une
gamme d'interactions appelant chacune un mode de representation
specifique. Dans cette perspective, les intervenants partiront de
l'analyse d'une oeuvre avant de se pencher sur ses dimensions historique
et culturelle. Cette approche visera precisement a souligner la variete de
representation et ouvrira par differents exemples de l'histoire musicale
la question de l'outillage musicologique.
Programme
14.00 Esteban Buch (maitre de conferences, EHESS) : Introduction
14.20 Benjamin Pintiaux : Audaces harmoniques et horizon d'attente du
public de l'Opera : la reception du Medee de Charpentier a l'Academie
royale de musique (1693)
15.00 Maud Lambiet : Evolution de la tradition analytique de la sonate
Appassionata, op. 57 de Beethoven : un echo a l'histoire culturelle ?
15.40 Pause
16.00 Danick Trottier : L'hermeneutique comme point de rencontre entre
l'analyse musicale et l'histoire culturelle : le cas exemplaire de
l'Octuor de Stravinsky
16.40 Lloica Czackis : Tango Milonga / Oh Donna Clara! : une icone de
tango polonais
17.20 Pause
17.40 Yann Rocher : Elements pour une semantique musicale du mal. Le
cas du Deutsches Miserere de Paul Dessau
18.20 Laurent Feneyrou (CNRS) : Intervention comme discutant, suivie
d'une table ronde autour des enjeux de la journee
19.00 Pot de cloture
Interventions
Benjamin Pintiaux (doctorant EHESS)
Audaces harmoniques et horizon d'attente du public de l'Opera : la
reception du Medee de Charpentier a l'Académie royale de musique (1693)
L'analyse musicale du Medee de Charpentier met en evidence un
grand nombre d'audaces harmoniques semblant inusitées sur la scene de
l'Academie royale de musique.
L'opera ne connait que dix representations et on lui reproche sa
"trop haute science", en denoncant la multiplication des innovations
harmoniques, signes d'un "italianisme" hors de propos dans la tragedie en
musique francaise, percu (a juste titre) comme une provocation a l'egard
de l'heritage lulliste.
La mise en perspective de l'oeuvre montre cependant que les
audaces de Charpentier sont directement annoncees par certains passages
composes par ses predecesseurs, en particulier Louis Lully, Marin Marais
et Desmarets (dans Alcide et Didon, deux grands succes de cette meme annee
1693). C'est donc la notion meme d'"originalite" qu'il convient
d'interroger pour evaluer, plus encore que l'inouï des audaces de
Charpentier, leur remarquable "indiscretion". Davantage que telle
dissonance ou tel italianisme, c'est certainement la posture de
Charpentier et de son librettiste Thomas Corneille qui permet de
comprendre l'echec public de l'oeuvre.
L'analyse musicale doit donc etre ici accompagnee d'une
contextualisation attentive aux hypotextes mais aussi a l'attente d'un
public, alors que l'oeuvre de Quinault et Lully est deja sacralisee. La
lecture de la partition permet donc de faire sortir Medee d'un isolement
majestueux dans lequel on considere souvent l'opera (unique tragedie en
musique du compositeur). Il s'agit donc de mettre les innovations
harmoniques en regard de celles des contemporains du musicien (ce qui
contribue, prises isolement, a les relativiser), et de tenter d'evaluer
l'horizon d'attente du public de la fin du XVIIe siecle, ce qu'autorise la
lecture des critiques, comptes-rendus mais aussi oeuvres directement
posterieures qui, dans le cadre d'un repertoire en train de se constituer,
sont aussi des reponses a Medee et a son echec public.
Maud Lambiet (doctorante EHESS)
Evolution de la tradition analytique de la sonate "Appassionata", op. 57
de Beethoven : un echo a l'histoire culturelle ?
La sonate Appassionata de Beethoven, composee entre 1804 et 1805,
a suscite un grand nombre d'analyses musicales, formant une veritable
tradition analytique. Plus d'une centaine d'analyses differentes
temoignent de la diversite des approches representee entre autres par des
personnalites telles que A.B. Marx, Riemann, Schenker, Reti ou encore
Frohlich. Chaque theoricien illustre une facon de concevoir l'oeuvre : par
exemple Marx se concentre sur la forme, Riemann sur les fonctions
harmoniques et Reti sur les processus thematiques.
La diversite de ces analyses justifie de s'interroger sur le
statut de ces constructions theoriques. Parce qu'en effet, elle n'est pas
due exclusivement aux seules proprietes internes de la partition, mais
repond aussi aux avancees qui jalonnent l'evolution de la pensee dont
temoignent notamment critiques et comptes-rendus. L'apparition de
l'esthetique, discipline definie par Baumgarten en 1750, le Goethezeit et
la notion d'organicisme qui en decoule au debut du XIXe siecle, ensuite
l'influence de la Gestalt, puis d'une certaine harmonie romantique au
debut XXe, et enfin les apports de la linguistique et de la semiologie a
partir des annees 1945, impliquent a chaque fois l'emergence de nouvelles
methodes d'analyse.
Qu'il soit relie a un ideal classique, spirituel, philosophique ou
encore a un processus constructiviste, chaque generation projette sur
l'oeuvre un propos esthetique different. Le face-a-face entre l'histoire
culturelle et les differentes approches de l'oeuvre a travers l'analyse
musicale montrent combien toutes deux s'influencent l'une l'autre, en
faisant s'entrechoquer des traditions existantes et en suscitant
l'emergence de positions nouvelles. Il permet de poser un regard sur les
processus de construction des valeurs, sur les attentes d'un public et sur
les facons d'ecouter l'oeuvre. De facon plus generale, il confronte des
theories de la coherence structurelle a d'autres experiences humaines
signifiantes.
Danick Trottier (doctorant Universite de Montreal / EHESS)
L'herméneutique comme point de rencontre entre l'analyse musicale et
l'histoire culturelle : le cas exemplaire de l'Octuor de Stravinsky
Le neoclassicisme musical se presente bien souvent comme un cas
difficile de l'histoire musicale. Mal juge par les uns ou mal compris par
les autres, il est souvent percu comme une regression vis-a-vis du progres
musical defendu par l'Ecole de Vienne. Or un tel jugement n'est possible
que si l'on s'en tient a une analyse autoreferentielle de l'oeuvre et de
l'histoire du langage musical. Des l'instant ou l'on prend en charge le
contexte propre au neoclassicisme, soit celui de l'entre-deux-guerres, il
devient impossible d'ecarter la culture dans laquelle cette musique a
baigne, culture qui lui a permis de trouver d'autres moyens pour penser
l'heritage musical passe et etablir un nouveau type de communication avec
le public. En ce sens, le neoclassicisme est interprete comme un mouvement
dialogique entre un passe a conquerir et un present determinant, d'ou
certaines attitudes mises en place pour mieux marquer cette distance,
telles l'ironie, la desinvolture ou la provocation.
En prenant en charge les preceptes de l'hermeneutique musicale,
nous proposerons une analyse de l'Octuor de Stravinsky afin de demontrer
comment cette peuvre s'inscrit dans un contexte culturel qui lui donne sa
raison d'etre et explique en partie les procedes musicaux qui y sont
employes. En partant du principe qu'une oeuvre est un reservoir de
significations qu'il s'agit d'interpreter a la lumiere des donnees que
nous offre son exteriorite, l'hermeneutique permet au chercheur
d'interpreter l'oeuvre en retablissant les ponts entre analyse musicale et
histoire culturelle. En ce sens, loin d'etre une regression, l'oeuvre met
plutot en place un veritable dispositif pour jouer sur les codes culturels
et musicaux, attitude qui ne peut se comprendre qu'en etant interpretee
comme une reponse directe a l'effervescence culturelle et technique du
moment.
Lloica Czackis (doctorante EHESS)
Tango Milonga / Oh Donna Clara! : une icone de tango polonais
Nous analyserons la chanson Tango Milonga (1929) du compositeur
juif polonais Jerzy Petersburski (1895-1979), personnalite dominante de la
scene de la musique populaire a Varsovie. Petersburski a etudie au
Conservatoire de Musique de Varsovie et de Vienne, puis a joue et
enregistre avec des chanteurs et instrumentistes renommes de l'epoque.
Alors que son ensemble joue a Vienne, Tango Milonga est vendu au Wiener
Boheme Verlag et est ensuite publie en 1930, accompagne de paroles en
allemand ecrites par Fritz Lohner-Beda, sous le titre Oh, Donna Clara!.
Cela est le debut d'un veritable succes international, au Casino de Paris,
au vaudeville de New York et dans le monde entier.
Le tango, originaire de Buenos Aires, arrive en Europe dans les
annees 1910 provoquant une revolution dans les cabarets et salons de
danse. Avec le jazz, il reflete une attitude sophistiquee, cosmopolite et
pleine d'insinuations sexuelles. Autour de 1914, le tango est deja bien
etabli en Europe et va bientot arriver a l'Est. Mais a cause de
l'opposition de pays comme la France ou l'Allemagne, frequemment visites
par les Orquestas Topicas argentins, la plupart des pays de l'Europe
orientale decouvrent uniquement cette musique par l'intermediaire des
disques, de la radio ou des journaux. Ce contact indirect peut peut-etre
expliquer les traits specifiques que le tango developpe dans ces regions.
Avec l'apparition d'un nouveau courant de tango en Pologne, capitale du
tango oriental, le caractere de cette musique commence a se differencier
du modele argentin d'origine.
L'etude du cas de Tango Milonga servira d'exemple de tango
polonais entre les deux guerres. Nous completerons notre expose par des
observations concernant les structures melodiques et notamment les motifs
rythmiques, en comparaison avec le tango argentin.
Yann Rocher (doctorant EHESS)
Elements pour une semantique musicale du mal. Le cas du Deutsches Miserere
de Paul Dessau
La question de la semantique en musique se porte generalement sur
la capacite du langage musical a etre investi d'un sens qui serait, selon
les cas, considere comme etant interne ou externe au champ musical. Dans
le second cas, ou la musique etablit des liens avec des elements etrangers
a son langage, on peut s'interroger sur le niveau auquel peut se situer la
signification, si la musique n'est que le support de cette derniere, la
principale depositaire, ou encore un maillon essentiel.
Compose en exil dans le contexte specifique de la seconde guerre
mondiale, l'oratorio Deutsches Miserere de Paul Dessau suggere sans doute
une approche specifique vis-a-vis de la question semantique. Cette piece
pour solistes, deux choeurs, grand orchestre, orgue, et trautonium se base
en effet sur des textes de Brecht et fait appel a des projections de
documents sur la guerre. L'analyse musicologique doit donc rendre compte
d'une forme monumentale ou differents langages sont imbriques de maniere
complexe. Mais en se donnant la catastrophe allemande comme theme
fondateur, le Deutsches Miserere rattache avant tout ses differents moyens
d'expression a une dimension politique et morale incontournable.
Puisque la stigmatisation du regime nazi et le destin tragique de
l'Allemagne sont au coeur du projet de Dessau, l'analyse peut alors tenter
de pointer les moyens musicaux employes dans l'oeuvre pour exprimer le
mal, soulevant les questions suivantes : Peut-on identifier dans cette
musique des modes de figuration qui entreraient au service d'une
semantique du mal ? Peut-on en verifier l'existence par un vocabulaire
specifique employe dans la partition ? En quoi enfin ce vocabulaire
s'inscrirait plus largement dans une histoire de l'expression du mal en
musique, dont le diabolus in musica nous fournirait l'une des origines ?
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