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Histoire des sciences humaines et sociales

Deux vendredis par mois de 14 h à 16 h (Centre Alexandre-Koyré, 27 rue Damesme 75013 Paris), du 4 novembre 2016 au 9 juin 2017.

Jacqueline Carroy, directrice d'études à l'EHESS (CAK)
Wolf Feuerhahn, chargé de recherche au CNRS (CAK)
Rafael Mandressi, chargé de recherche au CNRS (CAK)
Andreas Mayer, chargé de recherche au CNRS (CAK)
Nathalie Richard, professeur à l'Université du Maine (CERHIO, UMR 6852)

Le séminaire d’Histoire des sciences humaines et sociales  propose une approche volontairement généraliste du domaine. Les sciences humaines et sociales sont souvent appréhendées selon des historiographies disciplinaires. L’objectif du séminaire est de prendre du recul par rapport à ce type de perspective, en montrant que l’on peut faire par exemple une histoire des partages et des échanges entre science de l’homme, philosophie, médecine, littérature, sciences de la nature, etc. On s’attachera aux pratiques, aux savoirs, aux dénominations et aux acteurs à partir desquels s’est constitué et se constitue le projet d’édifier une ou des sciences prenant l’Homme et les humains comme objet. Soutenu par la Société Française pour l’Histoire des Sciences de l'Homme (SFHSH), ce séminaire est un forum de discussions sur les problématiques actuelles, sur les livres récemment parus, sur le statut et les usages des archives, sur les méthodes et les fonctions d’une approche historique des sciences qui prennent l’humain pour objet. Il s’adresse aux chercheurs, aux doctorants et aux étudiants en histoire des sciences et, plus largement, en sciences humaines et sociales.

4 novembre 2016 : Giuseppe Bianco (Université de Lyon III, Irphil) : Georges Politzer et la critique: où entendait aller la psychologie concrète?
Figure incontournable de la psychologie et de la philosophie du XXe siècle, Georges Politzer (1903-1942) fut l’un des premiers philosophes français à s’engager dans le Parti communiste et, plus tard, dans la Résistance. Il fut notamment l’auteur d’une Critique des fondements de la psychologie, qui détermina les modalités de la réception de la psychanalyse en France, et d’un corrosif pamphlet contre Henri Bergson, dont l’importance est comparable aux Chiens de garde de l’ami Nizan. L’anthropologie philosophique élaborée par Politzer, située à la convergence du marxisme et de la psychanalyse, influença profondément les œuvres de Lacan, Merleau-Ponty, Sartre,  Canguilhem,  Ricoeur et Althusser.

25 novembre 2016 : Irina Podgorny (CONICET, Université et Musée de la Plata, Argentine) : Crânes trépanés et « huacos » : les anthropologues et la question de la médecine pré-colombienne autour de 1900
En 1867 Paul Broca présentait à la Société d’Anthropologie « un ancien crâne péruvien sur lequel la trépanation a été pratiquée pendant la vie, suivant un procédé entièrement différent de celui qui est usité dans la chirurgie européenne. » Il en tirait la conclusion qu’avant l’époque européenne « il y avait au Pérou, une chirurgie déjà assez avancée ». Cette hypothèse ouvrit un nouveaux champ de recherche pour l’anthropologie américaine : l’étude de la chirurgie et la médicine pré-colombiennes sur la base des collections de crânes trépanés, de « momies » et de « huacos » (poteries) trouvés dans les anciens cimetières du Pérou.

9 décembre 2016 : Alexandre Métraux (Université de Mannheim) : Les relations homme animal
On peut aborder les rapports homme-animal (ou hommes-animaux) de manières diverses:
– du point de vue ontologique (les différences entre animal et homme sont-elles de nature ou de degré);
– du point de vue de la symbolisation (fables, contes, etc.);
– du point de vue de la loi (les animaux sont-ils de choses, des êtres sensibles, ou les deux à la fois?);
– du point de vue éthnologique (rituels, coutûmes, mythes);
– du point de vue économique (utilisation de matières animales, exploitation de l’animal, etc.);
– et ainsi de suite.
On se propose de considérer quelques problèmes épistémologiques résultant des approches homme-animal et d’en analyser la portée.

6 janvier 2017 : Emanuel Bertrand  (CAK) : La nouvelle alliance (1979) : Genèse, mise en récit historiographique et réception d’un succès éditorial en histoire et philosophie des sciences
En 1979, est publié en France un ouvrage retentissant d’histoire et de philosophie des sciences, dont le titre n’hésite pas à puiser dans la symbolique biblique : La Nouvelle Alliance. Métamorphose de la science. Fait particulièrement original, les deux auteurs relèvent de deux champs disciplinaires a priori fort éloignés. D’un côté, Ilya Prigogine, né à Moscou en 1917 et prix Nobel de chimie en 1977, est un théoricien physico-chimiste belge internationalement reconnu de l’Université Libre de Bruxelles. Isabelle Stengers, née quant à elle en Belgique en 1949, est doctorante en philosophie des sciences, sous la direction d’Ilya Prigogine, précisément. Dans cette communication, nous nous efforcerons de montrer à quelles questions et à qui cherche à répondre cet ouvrage. Nous analyserons également ses partis-pris historiographiques et la nature des « nouvelles alliances » qu’il promeut. Dans cette perspective, nous montrerons comment les auteurs restent finalement prisonniers des frontières qu’ils entendent déplacer et dépasser, et en quoi ils perpétuent une hiérarchie cognitive implicite entre la physique et la philosophie. Nous nous intéresserons enfin à la réception de l’ouvrage dans les milieux intellectuels et académiques, en abordant notamment sa critique par des philosophes des sciences ou les controverses qu’il a suscitées chez certains mathématiciens, biologistes ou physiciens.

20 janvier 2017 : Kaat Wils (Université de Louvain) : La genèse de la loi sur l’hypnotisme en Belgique, 1887-1892
Le 30 mai 1892, le ministre belge de la Justice et le Roi Léopold II signèrent une loi sur la pratique de l’hypnose. La loi interdisait les démonstrations publiques de l’hypnotisme et la signature de documents officiels sous hypnose, et elle limitait essentiellement aux médecins le droit d’effectuer l’hypnose sur les mineurs et sur les malades mentaux. La signature de la loi constituait un point final temporaire de six années de débats en Belgique sur les dangers et les promesses de l’hypnotisme, et donc d’un processus de négociation entre médecins, parlementaires et – à un moindre degré – juristes et guérisseurs non-diplômés. Les termes du débat n’étaient pas très différents de ce qui se passait ailleurs en Europe, où, dès la moitié des années 1880, l’hypnotisme était devenu un objet de souci public, qui pouvait être décrit comme une combinaison d’hypnomanie et de panique morale. Bien que plusieurs villes européennes et quelques gouvernements nationaux eussent prononcé des interdictions de démonstrations d’hypnose, la loi belge toutefois fut unique dans son effort combiné de réglementer l’emploi de l’hypnose dans des contextes publics et privés, dans un but d’amusement, de recherche et de thérapie, tout comme dans des contextes de fraude. Mon analyse montrera comment la genèse de la loi était un processus de négociation dans lequel des réseaux et des loyautés locales, nationales et transnationales jouaient chacun un rôle important.

3 février 2017 : Jacqueline Léon et Didier Samain (Histoire des Théories Linguistiques, UMR 7597, CNRS, Université Paris Diderot, Université de la Sorbonne Nouvelle) Modélisation et sciences humaines. Figurer, interpréter, simuler  (Présentation de l’ouvrage dirigé par C. Blanckaert, J. Léon et D. Samain)
Les termes de modèle et de modélisation sont, depuis quelques décennies, omniprésents dans la littérature scientifique et en particulier celle des sciences du langage, de l’homme et de la société. Quel sens donner à ce phénomène ? Même si dans certains cas, c’est la définition « classique » telle que proposée par la philosophie des sciences qui est utilisée, à savoir le modèle comme instance intermédiaire de validation empirique d'une théorie, le terme de modèle se substitue souvent à ceux de théorie, système, schéma ou méthode et reçoit des acceptions variables visant à combler le fossé entre enquête empirique et réflexion théorique. La modélisation, quant à elle, tient souvent moins à la mathématisation des savoirs qu’à des modes distincts de mise en oeuvre tels que figurer, interpréter et simuler. Cet ouvrage se propose d’établir un état des lieux et des usages. Qu’appelle-t-on modèle ? Faut-il restreindre ce terme à un certain type de généralisation ? Les sciences humaines, ou certaines sciences humaines, ont-elles développé des types de modélisation spécifiques ? Comment les modèles sont-ils produits, empruntés, abandonnés ? Cette réflexion sur les modèles et la modélisation, menée sur les plans historique et épistémologique dans des domaines variés tels que la linguistique, l’histoire de la grammaire, la philosophie du langage, la géographie, la psychologie, l’économie, l’histoire de l’art, a permis d’ouvrir un espace commun pour ces disciplines et plus généralement pour l’ensemble des sciences humaines.

3 mars 2017 : Anne-Sophie Chambost (Université Jean Monnet, Saint Etienne) « Les sciences de l’homme en manuels » (Présentation du numéro 29 de la Revue d’histoire des sciences humaines)
Le manuel d'enseignement supérieur est un objet peu estimé, qui n'a pas suscité la même attention que ses équivalents destinés à des publics scolaires. Tenu pour une synthèse, voire une vulgarisation, de connaissances élaborées ailleurs, il n’intéresse guère les historiens des sciences ou de l’enseignement. L’ambition de ce dossier est de contribuer par une historicisation rigoureuse à indiquer toute la complexité et le caractère évolutif de ces objets de savoir et de montrer combien leur production a pu donner lieu à des investissements stratégiques, qu’ils soient le fait d’individus isolés, de collectifs dévoués à une cause ou d’un État. À travers un large spectre de discipline (droit, psychiatrie, langues étrangères, géographie, économie, etc.) et une diversité de situations nationales (France, États-Unis, ex-URSS, Allemagne), il s’agit de faire varier les contextes, les époques et les modalités, afin de dépasser une représentation figée et trop dépendante des formes actuelles de cette production. Les études réunies ici examinent la production, la diffusion, la réception et l’usage de manuels de l’enseignement supérieur, considérés comme une forme spécifique de construction et de diffusion des savoirs. Ce faisant, elles éclairent de manière différente la façon dont les sciences humaines sont codifiées, données à lire et à comprendre, à des moments souvent stratégiques de leur développement. Le dossier entend par là convaincre les historiens des savoirs et des institutions académiques de l’importance d’un genre éditorial dont l’intérêt comme archive n’est pas encore pleinement acquitté ou exploré.

17 mars 2017 : Andreas Mayer : Des rêves et des jambes : figures expérimentales d’une science de l’Homme au XIXe siècle
Nous partirons de l'écho qu'a laissé un expérimentateur méconnu dans les pages énigmatiques d'un jeune écrivain. Dans son premier opuscule, Les Rêves et la jambe (1923), Henri Michaux fait référence au professeur norvégien John Mourly Vold, un philosophe qui se consacrait pendant une trentaine d'années à des études minutieuses sur les relations causales entre les excitations corporelles et les images oniriques. Ses recherches personnelles, publiées intégralement seulement de façon posthume en allemand (en 1910 et 1912), s'emploient à articuler les postures et les mouvements du corps pendant le sommeil avec l'activité onirique, cet autre mouvement se jouant sur la scène intérieure. Quelques décennies avant l'émergence des laboratoires du sommeil, Mourly Vold fait lui-même figure d'un premier sujet d'une science du corps rêvant en inventant un dispositif particulier. Les extrémités inférieures sont le point de départ de ces expériences puisque les perceptions liées à leur fonctionnement ne montrent pas la même variabilité que l’on observe chez d’autres parties du corps. L’appareil locomoteur sert ainsi de modèle primitif qui semble fonctionner de façon réglée et uniforme. Nous montrerons que ce modèle est dérivé non seulement des « habitudes » de l’expérimentateur lui-même, mais surtout d’une conception de traiter la marche et le mouvement corporel de l’homme tributaire d'un ‘mécanisme idéal’ qui sous-tend beaucoup de recherches sur l’Homme aux XIXe siècle.

21 avril 2017 : Frédéric Gugelot (Univ. de Reims, CERHIC) et Agnès Desmazières (Groupe Sociétés Religions Laïcités, EPHE - CNRS, Paris) : Jésuites et Sciences humaines : entre humanisme et psychanalyse (années 1960)
Si les jésuites ont toujours témoigné envers les sciences, dites dures, d’une vraie attention, dans les années 1960, des jésuites participent aux courants les plus novateurs des sciences humaines. Ils veulent ainsi inventer un présent à la Compagnie de Jésus. Sans remettre en cause la foi, ils aspirent à penser comment être chrétien dans un monde de plus en plus sécularisé, de plus en plus « déchristianisé ».
Cette irruption des sciences humaines dans la Compagnie, et dans l’Église, se joue selon deux axes : les idées qui irriguent les productions théologiques, exégétiques et historiques et la question de l’autorité et de la liberté interne à l’institution. F. Gugelot tentera de cerner ce « moment » sciences humaines au sein de la Compagnie de Jésus.
Dans un second moment, Agnès Desmazières s'attachera à resituer le moment « sciences humaines » des jésuites français à l'intérieur d'un engagement plus large, international, de la Compagnie de Jésus en faveur des sciences humaines et, en particulier, de la psychologie. Comment caractériser ce déploiement à l'échelle mondiale d'un projet jésuite de promotion de la psychologie ? Quelles spécificités régionales est-il possible de dégager ? Comment l'option psychanalytique des jésuites français peut-elle se comprendre dans ce cadre ?

5 mai 2017 : Giordanna Charuty (EPHE) : Anthropologie, philosophie et psychopathologie dans l'œuvre d'Ernesto De Martino
A partir du travail accompli pour l'édition française de l'oeuvre inachevée de l'anthropologue Ernesto De Martino - La Fin du monde. Essai sur les apocalypses culturelles (Paris, éditions de l'EHESS, 2016) - nous présenterons une voie italienne pour questionner les frontières disciplinaires au sein des sciences sociales dans les années 1960.

19 mai 2017 : Fernando Vidal (Institution catalane de recherche et d'études avancées, Barcelone) : Frankenstein à l’écran: les relations fiction-science, les conditions de l’adaptation filmique et les limites de la lecture symptomatique
Rédigé pendant l’été de 1816 et publié en 1818, le roman Frankenstein de Mary Shelley connut dès le départ d’abondantes adaptations, d’abord au théâtre, puis, dès le début du 20e siècle, au cinéma. Dans la majorité des nombreux films produits après le classique dirigé par James Whale en 1931, le thème originel de la création de la vie devient celui de la transplantation du cerveau. Le séminaire sur « Frankenstein à l’écran » se propose de documenter cette transformation, et de s’y appuyer pour interroger les relations entre la science et la fiction, les conditions de l’adaptation filmique et les limites des « lectures symptomatiques » qui voient dans les produits de l’art le reflet ou l’expression d’« anxiétés » sociales (sur des questions principalement biomédicales dans le cas de la figure de Frankenstein).

9 juin 2017 : Jose Luis Moreno-Pestana (Université de Cadix)  : Identité philosophique et identité politique: le rapport à l'Antiquité chez Foucault et Castoriadis
Cet exposé analysera, d’un point de vue sociologique,1) comment Le rapport à un «  hellénisme » est devenu une norme dans la France des années 1970-1980 2) comment cela permet de retraduire dans une tradition prestigieuse les transformations politiques et intellectuelles des années 1980 chez Foucault et Castoriadis. 3) On se demandera enfin quel est l'intérêt et philosophique et politique de l'apport de ces deux penseurs.



Nathalie Richard
Chargée de mission culture scientifique, technique et industrielle
Professeur d'histoire contemporaine
CERHIO (CNRS UMR 6258)
Université du Maine, Le Mans, France