<http://www.liberation.fr/rebonds/>
/Libération, Rubrique Rebonds, 15 février 2007
/*La politique migratoire du ministre de l'Intérieur viole les principes
de la République.*
*Expulsions : France coupable*
*
Par Olivier LE COUR GRAND MAISON*
Maître de Conférence en sciences politiques
à l'université d'Evry-Val-d'Essonne.
«Gestion des flux migratoires» : partout employée, cette expression
témoigne du triomphe d'une novlangue technicienne qui déshumanise celles
et ceux que l'on désigne, en substituant aux enfants, femmes et hommes
visés par ces termes et par des législations toujours plus restrictives
l'image impersonnelle de populations prétendument menaçantes qu'il faut
endiguer. Des raisons pour lesquelles ces étrangers ont été poussés à
quitter leurs pays d'origine, des conditions dans lesquelles ils ont
effectué un périple que beaucoup décrivent comme une épreuve longue et
périlleuse, mortelle parfois, de ces histoires faites de persécutions
ethniques, religieuses ou politiques, de misère et d'exploitation, il ne
reste rien.
Plus exactement, à la place de ce «rien» se découvrent les figures
réputées inquiétantes des «clandestins», puisque tel est le terme
utilisé pour les désigner. Sous couvert de nomination et de
qualification objectives prospère la disqualification des personnes en
même temps que s'imposent les représentations contenues dans le mot même
de «clandestin». Etre un «clandestin», ici, c'est se trouver ravalé à la
seule condition d'individu qui a franchi de façon illégale des
frontières, cependant que les causes de cet acte, souvent indispensable
à la préservation de l'intégrité physique et psychologique de son
auteur, sont placées hors champ. Etre un «clandestin», ici, c'est être
sans histoire personnelle, sans passé, sans antécédent, sans autre
antécédent du moins que la violation des dispositions relatives à
l'entrée et au séjour des étrangers. Au terme de ce mouvement, il n'y a
donc plus ni hommes ni femmes fuyant des conditions d'existence jugées
insupportables par eux, mais seulement des «Africains» et des
«Maghrébins», qui, par l'argent, la ruse et le recours à des passeurs,
ont réussi à déjouer les mesures destinées à contrôler l'accès au
territoire national. La surexposition langagière, politique et
médiatique du «clandestin» est au coeur de deux phénomènes politiques
distincts mais étroitement articulés : la criminalisation de ce type
d'immigration, présentée comme un danger majeur ; et la légitimation de
l'ensemble de la chaîne répressive, des arrestations aux expulsions en
passant par l'incarcération et le placement en zone de rétention.
Souvent euphémisée en «retour dans le pays d'origine», l'expulsion par
voie aérienne constitue la dernière et la plus spectaculaire de ces
étapes. Parfois médiatisée, celle-là a permis à plusieurs ministres de
l'Intérieur, d'hier à Nicolas Sarkozy aujourd'hui, de faire la
démonstration de leur «fermeté», supposée être «au service des Français»
et de la «défense des lois de la République». Continuité et pauvreté
remarquables du discours répressif dégradé en une écholalie sommaire que
soutiennent des arguments éculés. Au sommet de l'Etat et à la tribune
des meetings, c'est ainsi que les choses sont présentées. Dans les
commissariats, cela s'appelle «faire du chiffre». C'est donc pour «faire
du chiffre», conformément aux injonctions ministérielles, que des
policiers procèdent à des arrestations massives, réalisées en des lieux
choisis les Restos du coeur dernièrement sur des critères souvent
raciaux, quand ce n'est pas à l'occasion de démarches administratives
effectuées par les étrangers pour tenter d'obtenir la régularisation de
leur situation, ou après une hospitalisation d'urgence comme cela s'est
passé à Nantes pour une femme qui fut par la suite expulsée avec son enfant.
De là le recours aux charters, qui permettent de procéder à des
reconduites massives et spectaculaires d'étrangers en situation
irrégulière dans leur pays d'origine. De telles pratiques, rappelle
Alvaro Gil-Robles, commissaire européen aux Droits de l'homme, ont
/«pourtant été fortement critiquées par la Commission nationale de
déontologie et de sécurité et jugées contraires au droit français par le
Conseil d'Etat». /En vain, puisque le ministre de l'Intérieur-candidat
persévère sans susciter ni scandale politique, ni tollé juridique, ni
réprobation médiatique. Remarquable et stupéfiante démission de tous les
contre-pouvoirs, souvent présentés comme autant de freins à l'exercice
arbitraire du pouvoir exécutif dont l'un des titulaires majeurs peut
agir en toute impunité sans que rien ni personne ne soit en mesure de
mettre un terme à ses pratiques. Au nom de l'urgence et de la gravité
supposées de la situation provoquée par les «clandestins», on assiste
donc au triomphe de la raison d'Etat sur des principes pourtant jugés
essentiels au bon fonctionnement de l'Etat de droit. Etat de droit dont
les mécanismes, supposés garantir le respect des règles qui
l'organisent, s'avèrent être inefficaces face aux agissements d'un
ministre de l'Intérieur qui a recours aux méthodes que l'on sait avec le
soutien de son gouvernement.
Enfin, contrairement à la convention des Nations unies relative aux
droits de l'enfant et à la loi française qui /«précise que l'étranger
mineur ne peut pas faire l'objet d'une mesure de reconduite à la
frontière» /(article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour et du
droit d'asile), des enfants sont placés en centre de rétention en vue de
leur expulsion. La police, couverte parce que encouragée par son
autorité de tutelle et par le pouvoir politique dans son ensemble,
méconnaissent ainsi, de façon grave et répétée, un traité international
pourtant ratifié par la France et des dispositions juridiques nationales
votées par le Parlement. Excusez du peu. Avérés, constatés et consignés
par de nombreuses institutions et associations, nationales ou
européennes, ces faits révèlent ceci : les principes républicains et le
respect des lois, invoqués de façon solennelle par les uns et les
autres, couvrent leur violation courante légitimée par les «impératifs
de la sécurité» et par la mise en scène démagogique et électoraliste des
chiffres. Ceux-là mêmes qui permettent au ministre de l'Intérieur de
faire croire qu'il dit ce qu'il fait et qu'il fait ce qu'il dit, alors
qu'il est à l'origine du développement de pratiques illégales, dont
certaines ont été jugées telles par le Conseil d'Etat et par le
commissaire européen aux Droits de l'homme ! Oui, avec Nicolas Sarkozy,
tout est possible, même le plus arbitraire, même le plus indigne. Que
propose Ségolène Royal pour mettre un terme à cette situation ? Nous
n'en savons rien.
Dernier ouvrage paru,avec Gilles Lhuillier et Jérôme Valluy, /le Retour
des «camps» ? Sangatte, Lampedusa, Guantanamo..., /éd. Autrement, 2007,
210 pp., 20 euros.
Source : http://www.liberation.fr/rebonds/235289.FR.php
*Autour du livre :**
/"Le retour des camps ? //
Sangatte, Lampedusa, Guantanamo...."/ *
*Rencontre avec les auteurs*
*mardi 20 février 2007 de 17 h à 19 h*
Université Paris 1, 12 pl. du Panthéon (Paris 5e) Salle n°1- Entrée libre
Pour toute information complémentaire : http://terra.rezo.net
Pour découvrir le livre : http://terra.rezo.net/article554.html
--
Ce message a ete verifie par MailScanner
pour des virus ou des polluriels et rien de
suspect n'a ete trouve.
Subject:
[TERRA-Infos] Article Libération : "La politique migratoire du ministre
de l'Intérieur viole les principes de la République"
From:
VALLUY Jérôme <[log in to unmask]>
Date:
Thu, 15 Feb 2007 11:46:17 +0100
To:
[log in to unmask]
<http://www.liberation.fr/rebonds/>
/Libération, Rubrique Rebonds, 15 février 2007
/*La politique migratoire du ministre de l'Intérieur viole les principes
de la République.*
*Expulsions : France coupable*
*
Par Olivier LE COUR GRAND MAISON*
Maître de Conférence en sciences politiques
à l'université d'Evry-Val-d'Essonne.
«Gestion des flux migratoires» : partout employée, cette expression
témoigne du triomphe d'une novlangue technicienne qui déshumanise celles
et ceux que l'on désigne, en substituant aux enfants, femmes et hommes
visés par ces termes et par des législations toujours plus restrictives
l'image impersonnelle de populations prétendument menaçantes qu'il faut
endiguer. Des raisons pour lesquelles ces étrangers ont été poussés à
quitter leurs pays d'origine, des conditions dans lesquelles ils ont
effectué un périple que beaucoup décrivent comme une épreuve longue et
périlleuse, mortelle parfois, de ces histoires faites de persécutions
ethniques, religieuses ou politiques, de misère et d'exploitation, il ne
reste rien.
Plus exactement, à la place de ce «rien» se découvrent les figures
réputées inquiétantes des «clandestins», puisque tel est le terme
utilisé pour les désigner. Sous couvert de nomination et de
qualification objectives prospère la disqualification des personnes en
même temps que s'imposent les représentations contenues dans le mot même
de «clandestin». Etre un «clandestin», ici, c'est se trouver ravalé à la
seule condition d'individu qui a franchi de façon illégale des
frontières, cependant que les causes de cet acte, souvent indispensable
à la préservation de l'intégrité physique et psychologique de son
auteur, sont placées hors champ. Etre un «clandestin», ici, c'est être
sans histoire personnelle, sans passé, sans antécédent, sans autre
antécédent du moins que la violation des dispositions relatives à
l'entrée et au séjour des étrangers. Au terme de ce mouvement, il n'y a
donc plus ni hommes ni femmes fuyant des conditions d'existence jugées
insupportables par eux, mais seulement des «Africains» et des
«Maghrébins», qui, par l'argent, la ruse et le recours à des passeurs,
ont réussi à déjouer les mesures destinées à contrôler l'accès au
territoire national. La surexposition langagière, politique et
médiatique du «clandestin» est au coeur de deux phénomènes politiques
distincts mais étroitement articulés : la criminalisation de ce type
d'immigration, présentée comme un danger majeur ; et la légitimation de
l'ensemble de la chaîne répressive, des arrestations aux expulsions en
passant par l'incarcération et le placement en zone de rétention.
Souvent euphémisée en «retour dans le pays d'origine», l'expulsion par
voie aérienne constitue la dernière et la plus spectaculaire de ces
étapes. Parfois médiatisée, celle-là a permis à plusieurs ministres de
l'Intérieur, d'hier à Nicolas Sarkozy aujourd'hui, de faire la
démonstration de leur «fermeté», supposée être «au service des Français»
et de la «défense des lois de la République». Continuité et pauvreté
remarquables du discours répressif dégradé en une écholalie sommaire que
soutiennent des arguments éculés. Au sommet de l'Etat et à la tribune
des meetings, c'est ainsi que les choses sont présentées. Dans les
commissariats, cela s'appelle «faire du chiffre». C'est donc pour «faire
du chiffre», conformément aux injonctions ministérielles, que des
policiers procèdent à des arrestations massives, réalisées en des lieux
choisis les Restos du coeur dernièrement sur des critères souvent
raciaux, quand ce n'est pas à l'occasion de démarches administratives
effectuées par les étrangers pour tenter d'obtenir la régularisation de
leur situation, ou après une hospitalisation d'urgence comme cela s'est
passé à Nantes pour une femme qui fut par la suite expulsée avec son enfant.
De là le recours aux charters, qui permettent de procéder à des
reconduites massives et spectaculaires d'étrangers en situation
irrégulière dans leur pays d'origine. De telles pratiques, rappelle
Alvaro Gil-Robles, commissaire européen aux Droits de l'homme, ont
/«pourtant été fortement critiquées par la Commission nationale de
déontologie et de sécurité et jugées contraires au droit français par le
Conseil d'Etat». /En vain, puisque le ministre de l'Intérieur-candidat
persévère sans susciter ni scandale politique, ni tollé juridique, ni
réprobation médiatique. Remarquable et stupéfiante démission de tous les
contre-pouvoirs, souvent présentés comme autant de freins à l'exercice
arbitraire du pouvoir exécutif dont l'un des titulaires majeurs peut
agir en toute impunité sans que rien ni personne ne soit en mesure de
mettre un terme à ses pratiques. Au nom de l'urgence et de la gravité
supposées de la situation provoquée par les «clandestins», on assiste
donc au triomphe de la raison d'Etat sur des principes pourtant jugés
essentiels au bon fonctionnement de l'Etat de droit. Etat de droit dont
les mécanismes, supposés garantir le respect des règles qui
l'organisent, s'avèrent être inefficaces face aux agissements d'un
ministre de l'Intérieur qui a recours aux méthodes que l'on sait avec le
soutien de son gouvernement.
Enfin, contrairement à la convention des Nations unies relative aux
droits de l'enfant et à la loi française qui /«précise que l'étranger
mineur ne peut pas faire l'objet d'une mesure de reconduite à la
frontière» /(article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour et du
droit d'asile), des enfants sont placés en centre de rétention en vue de
leur expulsion. La police, couverte parce que encouragée par son
autorité de tutelle et par le pouvoir politique dans son ensemble,
méconnaissent ainsi, de façon grave et répétée, un traité international
pourtant ratifié par la France et des dispositions juridiques nationales
votées par le Parlement. Excusez du peu. Avérés, constatés et consignés
par de nombreuses institutions et associations, nationales ou
européennes, ces faits révèlent ceci : les principes républicains et le
respect des lois, invoqués de façon solennelle par les uns et les
autres, couvrent leur violation courante légitimée par les «impératifs
de la sécurité» et par la mise en scène démagogique et électoraliste des
chiffres. Ceux-là mêmes qui permettent au ministre de l'Intérieur de
faire croire qu'il dit ce qu'il fait et qu'il fait ce qu'il dit, alors
qu'il est à l'origine du développement de pratiques illégales, dont
certaines ont été jugées telles par le Conseil d'Etat et par le
commissaire européen aux Droits de l'homme ! Oui, avec Nicolas Sarkozy,
tout est possible, même le plus arbitraire, même le plus indigne. Que
propose Ségolène Royal pour mettre un terme à cette situation ? Nous
n'en savons rien.
Dernier ouvrage paru,avec Gilles Lhuillier et Jérôme Valluy, /le Retour
des «camps» ? Sangatte, Lampedusa, Guantanamo..., /éd. Autrement, 2007,
210 pp., 20 euros.
Source : http://www.liberation.fr/rebonds/235289.FR.php
*Autour du livre :**
/"Le retour des camps ? //
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*mardi 20 février 2007 de 17 h à 19 h*
Université Paris 1, 12 pl. du Panthéon (Paris 5e) Salle n°1- Entrée libre
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